mercredi 24 juin 2020

Sylvaine Jaoui répond aux questions des collégiens du Prix Gavroche

Bonjour à tous mes lecteurs et lectrices de Docteur Hope pour le Prix Gavroche ! 
Merci pour ce temps consacré à la lecture de mon roman. Ça me touche toujours quand des élèves prennent le temps de lire un de mes livres. Bon ok, vous avez été forcés par votre prof documentaliste !!! Mais quand même, je suis contente…. 
Je suis désolée pour notre rendez-vous raté du mois de mars. Ce satané corona virus aura gâché un joli moment que j’attendais avec impatience. Mais le temps n’est pas à la lamentation, place aux réponses que vous attendez. D’ailleurs, à ce propos, merci pour vos questions si pertinentes. Elles m’ont permis d’aborder des choses importantes pour moi, sur l’écriture en général, et sur Docteur Hope en particulier. 
Je vous embrasse tous et à très vite. Dans un roman ou dans la vraie vie ! 
Sylvaine


Autour du livre Docteur Hope


- Est-ce qu’il y aura une suite à Docteur Hope ?
Ce n’est pas prévu pour l’instant, mais si jamais mes lecteurs me le demandaient, je sais déjà ce que je ferais… Et vous, vous avez une petite idée ?

- Est-ce que Dr Hope ou votre héroïne sont issus de personnes réelles ? 
Mes personnages ne sont jamais des personnes qui existent dans la vraie vie. Je dirais plutôt qu’ils sont comme des puzzles. Un trait de caractère de quelqu’un rencontré dans la vie, un tic rigolo d’un autre, un élément de ma propre personnalité, des trucs qui me viennent dans la tête et je fais ma tambouille ! 


- Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire à ce sujet ? 
En fait, dans un roman il y a plusieurs sujets. Bien sûr ce roman raconte l’histoire de deux ados malades qui se rencontrent et vont réussir à sauter virtuellement les murs de l’hôpital grâce à la musique. 
Mais il y a bien d’autres choses que je veux raconter : comment un médecin comme Docteur Hope arrive à humaniser les soins à l’hôpital, comment une femme comme Etty donne du sens à son existence en devenant clown (alors qu’elle avait un métier plus « normé »), comment une infirmière qui affiche verbalement un racisme odieux est une femme pleine d’amour pour son prochain dans ses actes, comment des parents vivent de façon différente la maladie de leur enfant… 
Bref, il y a l’intrigue principal (qui est presque un prétexte), et puis la vie des gens (avec leurs trous et leurs bosses). Et c’est cela que j’aime : raconter la vie des gens un peu cabossés, comme nous le sommes tous…

- Avez-vous fait beaucoup de recherche ou vous êtes-vous rendue dans des hôpitaux ? 
Les deux, mon capitaine !!! Lorsqu’on écrit sur un sujet, il faut beaucoup se documenter. Même si après, vous n’utilisez pas tout ce que vous avez trouvé. Les lecteurs sentent très bien cela : ce qui n’est pas dit mais qui est là, entre les lignes du texte. 
Alors pour Docteur Hope, j’ai cherché les traitements contre la leucémie, les effets secondaires, les rythmes auxquels les enfants viennent à l’hôpital. Je suis allée sur des sites de discussion de parents d’enfants malades et j’ai lu leurs préoccupations. J’ai regardé le contenu des cours pour devenir clown médecin, j’ai regardé des vidéos… 
Bref, je me suis renseignée comme si c’était mes vraies vies (celle des ados du roman mais aussi celle des adultes). Et lorsque j’ai tout assimilé, mes personnages ont commencé à parler. 

- Avez-vous rencontré des clowns hospitaliers ou avez-vous pris contact avec l’association "Le rire médecin" ? 
Là aussi les deux, mon capitaine ! J’ai rencontré un clown médecin et j’ai pris contact avec l’association "Le rire médecin"
Grâce à Albin Michel qui m’a suivie dans cette aventure, une partie des droits est reversée à l’association et je continue, depuis la parution, à agir avec eux. 
J’ai découvert depuis peu l’association "Les blouses roses" (qui intervient auprès des enfants hospitalisés) et je bouge pour eux aussi ! 
Savoir que des gens comme eux existent, me console des horreurs du monde. 

- Vouliez-vous rendre hommage à quelqu’un en écrivant ce livre ou est-ce un sujet qui vous intéressez ?
Ce n’est ni un hommage (même si j’ai dédié ce livre à un ami médecin qui fait des miracles) ni un sujet pour moi. Ce qui m’intéressait en écrivant ce livre (mais aussi tous mes autres livres) c’est : comment trouver la pulsion de vivre même en terrain miné ?, comment accompagner sans peur ceux qui doivent traverser une épreuve, (même s’il faut pour cela construire un igloo en plein désert) ?, comment la créativité (musique, écriture, peinture mais aussi inventer une nouvelle recette de gâteau ou trouver de nouveaux noms aux étoiles) peut nous permettre de sortir de nos petites prisons personnelles ?, comment l’amour est l’ingrédient essentiel à toute relation humaine ? 
Bref découvrir combien la vie est une coquine et comment ensemble, on va sauter par-dessus les haies (et même sauver la planète ! et même se débarrasser du méchant Corona virus qui nous a empêché de nous voir !) 😄

- Est-ce que la série Les bracelets rouges ou le film Docteur Patch vous ont influencée pour écrire cette histoire ? 
Les livres, les films ou les séries des autres m’intéressent mais ne m’influencent pas dans l’écriture de mes romans. C’est la vie qui m’inspire. Les vrais gens dans la vraie vie ! Les héros et les héroïnes qui trouvent comment dépasser le divorce difficile de leurs parents, la mort d’un grand-père, le harcèlement d’un copain de classe, et en faire une carte « super chance ». Eh oui, une carte super chance … celle qui va vous permettre de tout rafler !!! Parce que la vie est comme une partie de cartes : on peut avoir un mauvais jeu et gagner. Avoir un bon jeu et perdre. Ce ne sont pas les cartes tirées qui nous donnent la victoire ou l’échec. C’est la façon de jouer. 
Alors face à la maladie, mes personnages ne se résignent pas à être des patients qui subissent, ils se mettent à créer et à jouer de la musique. Et comme ils le font avec leur cœur, d’autres cœurs les entendent et la vie joyeuse reprend ses droits. 

- Est-ce que cela n’a pas été trop difficile de traiter avec légèreté d’un sujet aussi difficile ?
Ça c’est ma grosse angoisse !!! Vous touchez là, ma difficulté la plus grande quand j’écris : ne pas verser dans le drame, mais en même temps, ne pas être indécente en étant trop légère. Arriver à trouver l’équilibre sur un fil d’un millimètre de diamètre alors que je porterais des Moonboots pointure 56 !!! 
Pour Docteur Hope, j’ai mis un temps infini à écrire la mort de Gus. Je n’arrivais pas à le faire mourir dignement sans que ce soit angoissant à lire pour vous. A chaque fois que je sortais de ma chambre, mes enfants me demandaient : « ça va Maman ? t’as l’air bizarre… » et je leur répondais d’un air navré : « Je n’arrive pas à faire mourir un de mes personnages… ». Le jour où j’ai réussi à écrire la scène que j’imaginais, j’ai beaucoup pleuré et j’ai souhaité un beau voyage à Gus. Mes filles se sont regardées et j’ai très bien entendu ce qu’elles se sont dit : « - Elle est vraiment grave, elle… - Ouais… ça s’arrange pas…». 

- Comment avez-vous eu l’idée de ce mélange de styles d’écriture ? 
Dans ce roman, j’avais envie qu’il y ait une parole d’adulte à une autre adulte (Etty à sa prof), une parole qui explique le comportement des adultes sans l’interprétation de mon héroïne (puisque c’est toujours elle qui raconte l’histoire). Alors j’ai pensé à la relation épistolaire (roman par lettres) pour que Lili ne soit pas l’interprète. 

- Combien de temps avez-vous mis pour écrire ce livre ? 
Il est très difficile de répondre à cette question. Parce que je l’ai commencé il y a quelques années mais je ne savais pas comment « exfiltrer » mes personnages hors de l’hôpital. Je ne trouvais pas leur carte « super chance ». 
Et puis un jour en voyant une ado sur YouTube qui cartonnait avec une chanson bricolée dans sa chambre, j’ai sauté de ma chaise. Voilà, c’était ça la carte « super chance » de Mouss et de Lili puisqu’ils étaient musiciens. On allait les entendre au-delà du service d’hématologie, au-delà de l’hôpital, au-delà de leur ville, au-delà de leur pays, et tout cela grâce à Internet et l’intervention de leurs copains. Lorsque j’ai trouvé cette idée, j’ai écrit mon roman en un été. 

Autour de votre métier d’écrivain

- Comment avez-vous fait pour écrire autant de livres ? 
J’ai eu beaucoup d’enfants et d’ados autour de moi pour m’inspirer, et j’ai beaucoup travaillé ! 

- Sur quels sujets avez-vous envie d’écrire d’autres livres ? 
Les sujets me viennent au fur et à mesure de la vie. Je ne les décide pas avant. Je suis soudain interpellée par quelque chose et ça me donne envie d’écrire. 
Mais une chose est commune à tous mes romans : je voudrais réparer le monde pour que tous les enfants du monde vivent en paix, le ventre plein et heureux. Et comme je n’ai pas de baguette magique pour le faire en vrai, je répare l’existence des personnages que j’invente dans mes romans. 


- Quand vous écriviez, est-ce que vous avez une routine ou est-ce que vous écrivez quand l’inspiration vous vient ?
Écrire est une passion très exigeante. Il faut se mettre à son bureau tous les jours et travailler. Il faut se fixer des objectifs comme si vous aviez un boss très exigeant. Alors dans ces conditions, et seulement dans ces conditions, il vous arrive parfois un moment de grâce (certains l’appellent l’inspiration) durant lequel vous allez écrire vos meilleurs pages. C’est ainsi que j’ai écrit Docteur Hope

- Pourquoi êtes-vous devenu auteur ? 
On ne sait jamais exactement pourquoi on devient écrivain. Mais il est certain, je suis tombée dans un chaudron d’encre dès ma naissance (comme Obélix dans son chaudron de potion magique). 
Mon père était libraire et nous habitions au-dessus de la librairie. Ou plus exactement, nos chambres étaient au premier étage. Le salon était la librairie et j’ai fait mes premiers pas au milieu des livres. J’y ai vécu jusqu’à mon adolescence. Dans la journée, j’allais à l’école avec ma mère qui était institutrice (encore des livres !). Et en vacances, on allait chez mon grand-père qui était… imprimeur de livres. J’adorais l’odeur de l’encre chaude et du papier. J’adorais aussi qu’on me raconte la vie de mon arrière grand-père qui était théologien (il étudiait la bible et les textes religieux). Encore des livres !!! 
Bref, que me restait-il comme choix de métier avec des livres ??? Professeur de français ou écrivain… J’ai choisi les deux ! 

- Avez-vous un autre métier ?
J’enseigne quelques heures le français dans un lycée et je forme les enseignants aux ateliers d’écriture à l’université, à Paris. 

- Que préférez-vous dans le métier d’écrivain ? 
Tout !!! rêver une histoire, l’écrire au plus près de mon rêve, corriger mon texte pour le rendre plus beau, rencontrer en vrai mes lecteurs et mes lectrices, échanger avec eux sur mon Instagram.
Il y a une chose que je n’aime pas : attendre le coup de téléphone de mon éditrice quand je lui ai envoyé mon manuscrit ! Ça fait super mal au ventre 😟

- Comment organisez-vous vos idées ? 
Je note tout dans un carnet. J’ai des Stabilos et j’ai des codes couleur pour me retrouver (éléments sur les personnages en jaune, la partie doc en rose, les idées en plus en vert…). Quand mes filles étaient petites, elles pensaient que je faisais du coloriage ! 

- Est-ce que vous relisez vos livres ? 
Non… Il y a tant de bons romans que je n’ai pas encore lus. Une seule exception : je relis rapidement un roman écrit il y a longtemps quand je dois rencontrer une classe. 

- Qui sont vos premiers lecteurs ou relecteurs ? 
Personne avant mon éditrice. Ça c’est sacré !!! 

- Avez-vous un conseil à nous donner pour écrire ? 
Oui !!!! Prenez un carnet à lignes (c’est mieux pour la lisibilité) à couverture souple (c’est plus agréable quand on a peu de place, on peut le plier), un bon stylo noir (moi, j’aime bien les feutres noirs), des Stabilos (j’adore les très petits qui sont plats, ils se rangent même dans un petit sac). 
Ensuite ? Première piste : notez dans un premier temps tout ce qui provoque en vous une émotion. Quelle émotion ? Est-elle agréable ou pas ? Quels symptômes ? Quelles sont les circonstances (le lieu, la date, les gens présents…) ? Quand avez-vous déjà ressenti cette émotion ? Dans quelles circonstances ? Bref, commencez à faire vos gammes avec vos propres émotions et sensations pour pouvoir les prêter plus tard, à vos personnages.
Deuxième piste : Vous pouvez aussi créer un personnage : couleur des cheveux, des yeux, taille, poids, âge, nom, prénom, parents, frère et sœur, discipline préférée à l’école, instrument joué, sport joué, meilleur ami, plus grosse bêtise, plus gros mensonge, son rêve pour plus tard… 
Il y a plein de pistes pour commencer à écrire. Faites-vous confiance… 

- Arrivez-vous à écrire durant cette étrange période que nous vivons ? 
Oui, j’écris une nouvelle série ! Mais je n’écris pas sur ce que nous vivons. Ça viendra après, je pense ! 

Autour de la lecture

- Quels sont les genres de livres que vous lisez ? 
Je lis des romans qui ressemblent à la vie. Ils m’aident à me comprendre et à comprendre le monde. 

- Que lisiez-vous quand vous étiez au collège ? 
Lorsque j’étais au collège, je lisais tout ce qui me tombait sous la main ! et comme je vivais dans une librairie, j’avais de quoi lire : Agatha Christie, Pagnol, Giono, Lamartine... Des auteurs qu’on ne donnait pas forcément à lire à une enfant ou à une ado mais mon père était d’accord pour tout. Ou presque…

- Un livre à conseiller à des enfants de notre âge ? 
Ce n’est pas que je ne veuille pas répondre à cette question mais les livres, c’est comme les gâteaux. Certains les aiment au chocolat, d’autres à la fraise des bois. Certains aiment les tartelettes toutes fines, d’autres les mille-feuilles. Personne n’a raison ou tort. C’est une question de goût ! 
Alors un seul conseil : allez dans une bibliothèque, regardez, sentez, croquez un bout, reposez si vous n’aimez pas mais goûtez à plein de choses, jusqu’à ce que vous trouviez ce qui vous plait… Il n’y a pas meilleur que des feuilles noircies par l’encre entre deux tranches de carton !!! Si… le chocolat !!! 

- Un souvenir de bibliothèque ou de CDI ? 
Plutôt un souvenir de librairie mais vous devez jurer de ne pas le répéter ! 
Vous allez croire que je ne pense qu’à manger mais tant pis… Je devais avoir six ans et ma mère avait acheté un camembert. Pour une raison que j’ignore, j’ai craint qu’elle ne m’en donne pas. J’ai donc subtilisé le fromage et je l’ai caché (sans la boite et le papier) à l’intérieur d’un très beau livre d’art qui était posé debout et légèrement entrouvert dans la vitrine. Seulement, il y avait des petits spots la nuit pour éclairer les ouvrages. Et les petits spots lumineux, ça chauffe !!! Je vous laisse imaginer la tête de mon père quand il a découvert, le lendemain, les pages de son beau livre d’art, collées au camembert fondu.
Depuis, je mange plutôt du Gouda !


Merci à Sylvaine Jaoui pour ces réponses et aux collégiens pour leurs questions.
Rendez-vous le vendredi 26 juin pour connaître le lauréat du Prix Gavroche de cette année !

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